Antoine Polin nous parle de "Living with Imperfection", son film sur Ran Blake

Sélectionné dans différents festivals (au Cinéma du réel, au FAME ou encore à Londres au Doc'n Roll), salué dès sa sortie par la critique (de Rolling Stone à Télérama), le documentaire "Living with Imperfection" dresse un portrait du pianiste américain Ran Blake empli de sensibilité, d'affection et de poésie. À l'occasion de sa diffusion au Petit faucheux (le jeudi 19 mai), nous rencontrons son réalisateur, le musicien tourangeau Antoine Polin.

 

Qu’est-ce qui est à l’origine de ce projet de film ?

Antoine Polin : Une envie de m'exprimer différemment, d'explorer une nouvelle forme artistique. Peut-être aussi de faire une petite pause en musique. J'ai toujours été un amateur de films documentaires et depuis un certain temps, je m'essayais à la vidéo. J'ai éprouvé le besoin d'aller plus avant avec ce medium et concrétiser une réalisation plus personnelle.
 

Pourquoi Ran Blake ?

A.P. : Dans le film documentaire, j'apprécie beaucoup le portrait. A l'époque, je venais notamment de voir Fifi hurle de joie, un film de la réalisatrice iranienne Mitra Farahani sur l'artiste Bahman Mohassess. Ce film m'a beaucoup touché et, de fait, influencé dans ma décision de faire un portrait. J'ai naturellement cherché un musicien et j'ai pensé à Ran Blake. Je l'avais rencontré en 2007 suite à un stage d'une semaine au Petit Faucheux où il nous avait parlé énormément de cinéma. C'était très surprenant, mais aussi très enrichissant. Il m'a semblé être un personnage à travers lequel je pouvais m'exprimer. Ce fut le cas, je pense.

Ran Blake - "Living With Imperfection" Photo : Antoine Polin

Comment, en tant que musicien, abordes-tu la réalisation de ce film, consacré à un musicien ?

A. P. : Effectivement, je suis un musicien qui a fait un film sur un musicien passionné de cinéma. Je dirais que c'était mon ticket d'entrée pour créer un lien fort et intime avec Ran Blake. Néanmoins, je n'ai jamais eu l'intention de faire un film « par un musicien pour les musiciens ». Ce qui m'intéresse c'est l'homme, son quotidien, son mode de pensée et le processus créatif qu'il a développé depuis tant d'années. C'est aussi sa perception de sa propre vie à travers la vieillesse. La vieillesse dans toute sa beauté, son expérience, ses obsessions, sa sagesse, ses doutes et ses regrets.
 

Quel est l’intérêt pour toi, musicien, de faire du cinéma ?

A. P. : Je ne sais pas vraiment s’il y a un réel intérêt. De manière plus générale, la question peut se poser : est-il essentiel pour un.e artiste de pratiquer plusieurs formes d’art ? Je ne pense pas.  Il s'agissait plus pour moi de répondre à une envie, à un fort besoin de réaliser autre chose. Ceci étant dit, j’ai pu constater concrètement, à mon humble niveau, que la réalisation d'un film et la composition musicale (voire l'improvisation), comportaient de nombreux points communs : le rythme, la forme, les dynamiques, la clarté du propos... Depuis peu, j'ai recommencé à écrire beaucoup de musique et je remarque que ma perception musicale a quelque peu changé suite à la réalisation de ce film. Était-ce donc nécessaire de faire ce film ? Je ne sais pas. Était-ce bénéfique ? Dans mon cas, oui, je pense.

"Living With Imperfection" - Photo : Antoine Polin

Quel(s) lien(s) entretiens-tu avec le cinéma ?

A. P. : Plutôt bons, merci ! Mais ce sont des phases. J'ai eu des périodes où je regardais beaucoup de bons films, et d'autres, plus ou moins longues, où je me cantonnais à Netflix ou autres... Je ne sais pas s'il faut se forcer. Des phases. En ce moment par exemple, je (re)regarde des Kubrick, c'est vraiment la classe ultime.
 

Comment as-tu pensé le film ?

A. P. : À l'arrache. Je savais ce que je ne voulais pas : une biographie, des interviews de gens plus ou moins connus qui parlent en bien de Ran Blake, des photos d'archives à foison animées comme chez Ken Burns... J'ai allumé la caméra quand ça m'intéressait et je l'ai éteinte quand ce n'était pas le cas. Bon, j'ai quand même 120 heures de rushes ! Certes, j'ai dû écrire beaucoup de dossiers pour les financements, mais c'est réellement au fur et à mesure du tournage que le film s'est précisément dessiné dans ma tête. La forme finale est à peu de choses près celle que j'avais imaginée. Et c'est tant mieux.
 

Un moment fort durant la conception du film à nous raconter ?

A. P. : Non, deux :

– Ran Blake qui, un soir (arrosé), se livre si intimement à moi sur Jeanne Lee dans un élan de nostalgie, de regrets et d'amour inachevé qui m'émeut encore quand j'y repense.

– Ran Blake qui caresse son chat et lui parle sur son lit pendant 45 minutes. Une longue scène magnifique d'une si belle et profonde lenteur, d'un amour inconditionnel et absolu entre deux êtres au crépuscule de leur vie. J'aurais aimé mettre toute la scène dans mon film... En plus, la lumière déchirait.

Ran Blake - "Living With Imperfection" - Photo : Antoine Polin

"Living With Imperfection"

À Boston, dans son appartement en demi sous-sol où l'atmosphère sort tout droit d'un vieux film noir, le grand pianiste américain Ran Blake mène une vie solitaire et continue de façonner son jeu inclassable. Depuis plus de 70 ans, c'est son obsession pour le cinéma qui l'anime et qui nourrit sa musique dans un dialogue unique entre les deux arts.

Film documentaire d’Antoine Polin - 2021, France, 66 minutes

La presse en parle : « Un portrait sensible et unique » ★★★★ - Rolling Stone / « Intense et bouleversant » - France musique / « Un film précieux » Télérama / « Un film passionnant, d’une grande justesse » Jazz Hot

 

Jeudi 19 Mai 2022 à 20:00
"Living With Imperfection" d'Antoine Polin + Duo Thémines / Hazebrouck
Le Petit faucheux - 12, rue Léonard de Vinci, Tours

> Réservez sur le site du Petit faucheux

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